Pour ce dernier dimanche, Eugène propose de visiter Robert à Tamezguida, puis de grimper le col -1600mètres- jusqu’au lac de Dhaia. Tamezguida n’est qu’à 4 km mais de l’autre côté de la vallée. Si c’est le lieu où ont été assassinés 12 croates en décembre 1993, c’est là qu’habite désormais Robert, ancien ermite sur la montagne voisine, prêtre ami et voisin des moines de Tibhirine durant les année noires, et qui a assuré une présence au monastère sitôt l’enlèvement des moines.
Cloué sur son fauteuil depuis un AVC, au 3ème étage d’un modeste appartement rempli de livres, nous sommes époustouflés par la vitalité, la force d’âme, la clairvoyance et la richesse d’expression de ce personnage amaigri qui approche les 92 ans. Avec Eugène, Félicité, Brigitte, Yves,Zabeth et Jeannine, nous avons célébré l’Eucharistie autour de sa table. S’il est malentendant, privé de son bras gauche, et parle difficilement, une émotion palpable nous a traversé devant sa participation et son commentaire d’Evangile; quelle leçon que ce témoignage qui restera marqué dans nos mémoires. Nous avons partagé le repas ensemble, Robert nous a relaté ses récentes visites qu’il a reçues, dont celle de son neveu pas vu depuis 20 ans, d’un style de vie aux antipodes de ce qui l’anime dans cette Algérie depuis 50 ans.
Robert est désormais sous la protection de Sofiane, jeune musulman voisin à qui il a transmis ses talents et son activité d’apiculteur. Une vraie amitié les relie, illustration parfaite du vivre ensemble malgré nos différences. Sofiane nous a commenté sa perception de l’acceptation des ‘autres au travers de l’énoncé du parcours de Thierry, le neveu de Robert: le Coran peut parfois être proche de l’Evangile.
On resterait volontiers dans ce havre de paix tout imprégné de sagesse, mais les deux escortes nous attendent – 6 militaires – pour grimper au lac. La montée, tout en lacets, offre des paysages somptueux avec des panoramas qui nous laissent entrevoir le dôme de la mosquée de Tibhirine.
Le lac, plutôt une grande mare où il reste peu d’eau, est une destination touristique appréciée, comme en témoignent les restes de feux de camp tout autour, dommage que la collecte des déchets plastiques ne soit pas encore à l’ordre du jour.Un camion devant nous déverse sa cargaison (3 vaches maigrichonnes) qui s’éparpilleront dans les buissons voisins. L’environnement diffère des collines dénudées que nos yeux perçoivent à Tibhirine: ici des arbustes buissonnants recouvrent le terrain, sauf autour du lac où prospèrent de grands chardons. Notre garde particulière, arme à l’épaule, semble profiter aussi de ce moment de promenade et de détente, àmoins qu’elle soit à la recherche de sangliers dont les traces sont bien visibles. Petite randonnée dans les environs immédiats, et nous retrouvons notre véhicule et nos escortes pour le retour, par cette belle route de montagne.
Comme souvent depuis notre arrivée, des rencontres extraordinaires viennent enrichir des journées ordinaires, nous rendons grâce pour ce cadeau qui nous est offert, sans oublier ceux que nous avons laissé en France, et qui nous ont permis de venir jusqu’ ici.